LE MOMENT LE PLUS DOUX...

Publié le par christiane loubier

Le moment le plus doux
fut l'attente du bus, les tables
du petit café étant à l'ombre
des arbres du square où la brise
de mer se coulait insidieusement
et là je bus un café frappé
avant de quitter Gythion, qui ne me réserva
guère que ce plaisir éphémère
- mais n'est-ce pas l'estampille du plaisir ?
 
 
 
Paul de Roux
Allers et retours (Extrait), Gallimard, 2002

LA MALENDURANCE

Publié le par christiane loubier

Où sont nos villages debout
Qu’avons-nous fait de nos maisons de pierre
Et de nos hivers bout à bout
Le silence des statues est pesant de mémoire

Sur le chemin d’allégeance
Nous avons cousu les lèvres de nos épouvantails
Et laissé tomber semences et bétail

Bien pire que l’offense
Encore plus que les doutes
La souvenance en déroute

Avec la plume acérée
La hache et le vieux fusil du temps
Nous avons enterré les armes depuis longtemps

Les enfants de la colère ne savent plus rien
Des raisons de la malendurance
Ruines pour hier pour l'avenir
Miroir du temps révolu
Miroir des jours à venir

Allumez vos petites lampes
Il fait nuit noire
Dans le réduit de l’histoire
 
 
 
Christiane Loubier

LA CERISE DE MONTMORENCY

Publié le par christiane Loubier

 
                               À Pierre et Suzanne
 
    La cerise courte-queue
Qui s’allume autour de Paris
    Fait jubiler mes banlieues
Dans ce chaud printemps défleuri.
    Salut guignes et griottes,
Mes feux aigus de la Saint-Jean,
    Tisons, braises, lumerottes,
Beaux petits fruits intelligents !
    D’aucuns disent : « Je descends
Des Rois, des Croisés, de Saint-Pierre. »
    Moi je porte dans mon sang
Toute une gloire cerisière.
    Ils disent : « Je suis Ceci
Par le Lis, l’Épée ou l’Église. »
    Moi je suis Montmorency,
Montmorency par la cerise.
 
    Mille tailles, mille cueilles
Dans les hauts faits de ma Maison.
    La cerise avec ses feuilles
Peut figurer sur mon blason.
    L’acide des courtes-queues
Brasille et rit sous nos vertus.
    Cueillez, mes aïeules feues,
Tous nos cerisiers sont vendus.
    Ils ne portent pas le deuil
De leurs soigneurs, de leurs cueilleuses.
    Et les voilà tout orgueil
Sur les collines orgueilleuses.
    Adieu, passé rougissant,
Adieu cerise illuminée,
    Aucune main de mon sang
Ne te cueillera cette année.
 
 
 

Lucienne Desnoues

La fraîche, Gallimard , 1958
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

Cerises de Montmorency dans leur cerisier
Beauport (Québec)

NE FAIS PAS DE TA VIE UN DÉSERT...

Publié le par christiane loubier

Ne fais pas de ta vie un désert. N’en expulse
Ni Dieu ni les divins qui t’ont permis de vivre
Un peu plus qu’un instant ici même où tu es
Sans que tu saches la raison. Entre les herbes,
Le ruisseau brille et nous murmure quelque chose
Que nous ne comprenons pas, bien que le chant, comme
L’eau, en soit clair. Pas plus, tu ne déchiffres l’A
B C que la buse épelle en miaulant sur
Son erre, ni le jaune intense des crépides
Face au soleil tout-puissant que les oiseaux noirs,
Haut perchés sur le coteau, acclament. Le vent,
Le perpétuel, quant à lui, propage à notre
Insu, se mêlant aux peupliers, les parties
Du discours qui nous font amèrement défaut.

 

 

 
Robert Marteau
(Attichy, mercredi 18 août 1993.)
Registre, Liturgie III, 1993-1995, Champ Vallon
 
 
Illustration de la page de couverture de Registre

 

LES ENFANTS DE L'ÉTÉ

Publié le par christiane loubier

Les enfants qui offrent des fleurs
S’en retournent avec leurs pleurs
Ils n’ont pas vu le crachat
Sans les épervières
Ni les petites bibittes
Au cœur des marguerites
Ils ne savent pas
Que les roses sauvages
Sont trop pâles
Qu’elles ont plus d’épines que de pétales

Et puis après
Il y a bien des pucerons
Dans les plus belles chansons
Et parfois des petites bêtes
Dans la tête des enfants
Qui pleurent et s’en retournent
Jouer avec les papillons
 
 
 
Christiane Loubier
 
 
Bas-relief attribué à la famille Bouchard (Charlevoix, Québec)
Vers 1930

 

NOUVELLES DU LINGE

Publié le par christiane loubier

De soif j'ai rincé mon linge et je l'ai tordu
après ça qu'est-ce-que j'ai fait je l'ai pendu
 
grand ouvert sur le pré tout contre l'odeur
du foin debout le blanc comme la couleur
 
en rimes claires offertes aux rafales du vent
fin comme cible et serré comme van
 
je le regarde avec amour à chaque fois
est-ce lui qui se gorge d'air est-ce moi
 
trame à l'attache eau qui vole
le frais du linge a saisi la parole
 
 
 
Ludovic Janvier
La mer à boire, Poésie/Gallimard
 
 
 
 
 

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