À Antoine Giacometti
Avancerons-nous aussi vite que l’étoile ?
La randonnée n’a-t-elle pas assez duré ?
Réussirons-nous enfin à l’égarer,
cette lueur au milieu de la lune et des bêtes
qui ne s’impatiente pas ?
La neige avait tissé les pays du retour
avec ses fleurs fondues où se perd la mémoire.
De nouveaux compagnons se mêlaient à la troupe,
qui sortaient des arbres, comme les bûcherons.
Le Juif errant peinait, aux blessures bafouées.
Des fourrures couvraient le roi noir malade à mourir.
Le pasteur de la faim est avec nous,
ses yeux bleus éclairent son manteau d’épluchures
et le troupeau rageur des enfants prisonniers.
Nous allions voir la joie, nous l’avons cru,
la joie du monde, née dans une maison par ici.
C’était au commencement. Maintenant on ne parle pas.
Nous allions délivrer un tombeau radieux
marqué d’une croix par les torches dans la forêt.
Le pays n’est pas sûr, les châteaux
se glissent derrière nous.
Pas de feu dans l’âtre des relais. Les frontières
remuent à l’aube sous les coups défendus.
Nos paumes qui ont brisé les tempêtes de sable
sont trouées par la charançon, et j’ai peur de la nuit.
Ceux qui nous attendaient dans le vent de la route
se sont lassés, le chœur se tourne contre nous.
Par les banlieues fermées à l’aube, les pays sans amour,
nous avançons, mêlés à tous et séparés,
sous les lourdes paupières de l’espérance.
La peur haletait comme une haridelle.
|
Nous arriverons trop tard, le massacre est commencé,
les innocents sont couchés dans l’herbe.
Et chaque jour, nous remuons des flaques dans les contrées.
Et la rumeur se creuse, des morts non secourus
qui avaient espéré en notre diligence.
Tout l’encens a pourri dans les boîtes en ivoire,
et l’or a caillé nos cœurs comme du lait.
La jeune fille s’est donnée aux soldats,
que nous gardions dans l’arche pour le rayonnement,
pour le sourire de sa face.
Nous sommes perdus. On nous a fait de faux rapports.
C’est depuis le début du voyage.
Il n’y avait pas de route, il n’y a pas de lumière.
Seul un épi d’or surgi du songe,
que le poids de nos chutes n’a pas su gonfler.
Et nous poursuivons en murmurant contre nous,
tous le trois brouillés autant qu’un seul
peut l’être avec lui-même.
Et le monde rêve à travers notre marche
dans l’herbe des bas-lieux. Et ils espèrent,
quand nous nous sommes trompés de chemin.
Egarés dans les moires du temps, les durs méandres,
qu’anime le sourire de l’Enfant,
chevaliers à la poursuite de la fuyante naissance
du futur qui nous guide comme un toucheur de bœufs,
je maudis l’aventure, je voudrais retourner
vers la maison et le platane
pour boire l’eau de mon puits que ne trouble pas la lune,
et m’accomplir sur mes terrasses toujours égales
dans la fraîcheur immobile de mon ombre.
Mais je ne puis guérir d’un appel insensé.
Janvier-février 1941
|