FOLLE AVOINE

Publié le par christiane loubier

L’histoire est un pré

On a bien tout fauché

On a bien tout tassé

Au grenier de la mémoire

Les granges se noient dans les blés

 

Je ne veux rien oublier


Les bras des ouvreurs de chemin

La vaillance des chevaux

Les maisons blanchies à la chaux

La rivière Famine

Le visage du semeur

La vie frappée au fer

 

Les baïonnettes mystérieuses

Les nuits incendiées

La race au gibet

Les clochers de l’échafaud

L’oubli de l’offense

Le sang trop vite essuyé

 

La misère à carreaux

Les bretelles sans fusil

Les fronts silencieux

La soumission héréditaire

Les chapeaux de feutre

Sur la tête des hommes

 

Je ne veux rien oublier

 

L’égoïne chantante

Les montagnes coupées

Le bois à vendre debout

L’oiseau derrière la vitre

Les couvertures à pointes folles

Et toutes ces choses qui s’envolent

 

Les faucons tournant au-dessus du fleuve

Les cierges contre l’orage

La poule donnée au diable

Le ciel de la chasse-galerie

La mélancolie de l’accordéon

 

L’hiver qui tombe du ciel

Les glissades sur la pelle

Les miettes sur la neige

Le temps échappé

Le manque de jour

Le manque tout court

 

Je ne veux rien oublier

 

J’habite une légende

Dont je ne connais plus la langue

L’alouette renonce à sa colère

Mais je regarde toujours le feu

Je ne veux rien oublier

Du soleil rose et jaune

Qui se lève à l’est

À tous les étages du gâteau de la noce

 

 

 

Christiane Loubier

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G
<br /> <br /> Le texte bref dont vous avez l’habitude, Christiane, c’est beau, souvent percutant. Étrangement, toujours modeste et discret. L’air de ne pas trop y toucher. Mais lorsque le texte bref, sans<br /> perdre ses qualités de texte bref, sans tomber dans l’éloquence, se fait un peu plus long, devient litanie, berceuse, recension d’un passé chéri et regretté (ou chéri parce que regretté?), c’est<br /> un émerveillement qui dure, avec autant de lignes qui en soi se suffisent, comme « les granges se noient dans les blés », comme « la misère à carreaux », comme « les<br /> glissades sur la pelle », comme tant d’autres lignes. Presque une épopée de regrets?<br /> <br /> <br /> <br /> gd<br />
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C
<br /> <br /> Merci gd, je reçois vos lignes avec beaucoup de bonheur, même si c'est beaucoup d'éloges. C'est vrai, j'aime le bref en poésie, mais ce n'est pas vraiment voulu, les mots s'arrêtent soudain au<br /> bord du rien et c'est fini. Ici, j'ai tenté un ouvrage de dame, un tricot pour la mémoire, à la manière d'un long foulard d'images (légendes, histoire, saisons) que je ne voudrais pas oublier et<br /> qui datent du temps où ce pays avait un sens. Pas tellement des regrets, mais un désir de ne pas oublier, de ne pas me perdre dans la disparition des choses. Mais oui finalement, un regret pour<br /> tout ce qui s'envole.<br /> <br /> <br /> Je vous salue,<br /> <br /> <br /> Christiane<br /> <br /> <br /> <br />